Histoires de chemins de fer

Le triangle de Beillant

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Sans l’apparition du chemin de fer, le petit hameau de Beillant sommeillerait encore dans l’anonymat le plus profond, sur la rive gauche de la Charente, entre les bourgs de Saint-Sever-de-Saintonge et de Courcoury. Le nom même de Beillant n’est jamais mentionné dans la presse avant 1867, année de l’ouverture de la ligne ferroviaire Saintes-Cognac, elle-même portion de la liaison Rochefort-Angoulême. C’est, pour ainsi dire, le début de l’histoire du hameau. La Compagnie des chemins de fer des Deux-Charentes choisit d’y bâtir une gare qui dessert les villages voisins, entre les stations de Chaniers et de Brives-Chérac.

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Le 24 juillet 1878, c’est le président du Conseil et ministre de la Justice — il cumule les deux fonctions — qui descend en gare de Beillant. Il s’agit de Jules Dufaure, natif de Saujon, qui fut longtemps député de la Charente-Inférieure. L’âme en peine, il est en route pour Grézac, où seront célébrées les obsèques de son épouse, Claire Jaubert. Perdu dans ses pensées, il veut remonter dans le compartiment afin de s’assurer qu’il n’y a rien oublié, mais le train effectue un brusque recul à cet instant. Le garde des Sceaux tombe à terre. Son domestique le relève sans mal. L’incident fait un filet dans de nombreux journaux.

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En 1885, les esprits s’échauffent quand on parle de politique à Beillant, où le buraliste, M. Doizy, est un fervent militant républicain. Candidat bonapartiste aux élections législatives, le baron Eugène Eschassériaux fait citer en justice le fils Doizy, accusé d’avoir arraché une de ses affiches électorales. Précisons que l’enfant attaqué par l’élu conservateur est âgé de seulement 6 ans et demi !

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Il faut arriver en 1889 pour que la gare de Beillant, pourtant dotée d’un buffet depuis longtemps, soit également pourvue d’une salle d’attente pour les voyageurs.

La rupture d’un rail, en novembre 1890, fait dérailler et se coucher sur le talus quatre wagons du train de marchandises reliant Saintes à Angoulême. Personne n’est blessé mais la circulation ferroviaire est très perturbée.

Un drame endeuille tous les cheminots de la gare de Beillant, le 24 avril 1893. L’un des leurs, un ouvrier de 19 ans seulement, meurt la poitrine écrasée entre les tampons de deux wagons, lors d’une manœuvre.

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En juin 1896, un nouvel accident en gare de Beillant est rapporté par la presse. Le train arrivant de Bordeaux percute un voyageur qui traverse la voie. Ironie du sort, l’homme, blessé à la tête et à une jambe, s’appelle monsieur… Bosse !

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Le 12 août 1902, la gare de Beillant est le théâtre d’un véritable drame passionnel. Des témoins voient un couple se disputer, évitant toutefois les éclats de voix. On comprend que l’homme et la femme sont séparés. Toutefois, il se dit passionnément épris d’elle et veut absolument reprendre la vie commune. Lorsqu’elle lui signifie que c’est hors de question, il s’enferme un instant dans les toilettes et en ressort avec une arme de poing. Il fait feu à deux reprises sur la femme qui s’écroule en gémissant : « Mes enfants ! Mes pauvres enfants ! » L’homme réalise la gravité de son geste et tombe à genoux, implorant le pardon de celle qu’il vient de blesser à mort. Elle est transportée vers l’hôpital de Cognac où elle succombe à ses blessures le lendemain. Lui est envoyé un temps à l’asile de Lafond, puis jugé par la cour d’assises et condamné à cinq ans de réclusion.

Le 30 avril 1905, on inaugure le pont routier édifié parallèlement à celui du chemin de fer pour franchir la Charente, facilitant les relations entre les rives nord et sud du fleuve. Il remplace un bac pour relier Beillant, côté Saint-Sever, à Chauveau, côté Chaniers. Le chantier est l’œuvre du Conseil général, mais les festivités ont pour principal invité Émile Combes, qui n’est toutefois plus président du Conseil depuis sa démission, fin janvier. La fanfare ouvre le cortège officiel qui glisse sur la chaussée boueuse en cette journée pluvieuse. Les longs discours de circonstance sont ponctués de bouquets offerts par des enfants. Quelque 300 convives prennent place pour le traditionnel banquet. La fête populaire culmine avec « Le Jugement du bac », une saynète écrite par le docteur Jean, l’auteur acérien de « La Mérine à Nastasie ».

Lisez le texte intégral de cette histoire dans le livre "Chroniques de Charente-Inférieure" par Thierry Collard

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