L'éphémère phare de la Coubre

Le phare s'écroule au bout de 12 ans

L’accès des navires de commerce à la « rivière de Bordeaux » (l’estuaire de la Gironde) et la proximité du dangereux pertuis de Maumusson (de l’ancien français « Mauvaise musse », signifiant « Mauvais chemin ») nécessitent depuis longtemps un balisage à la pointe de la Coubre.

On trouve trace d’une balise porte-feu dès 1690. Au milieu du XVIIIe siècle, une tour en bois figure sur des plans devenus obsolètes au début du XIXe, en raison des déplacements des bancs de sable. En 1815, une tour est bâtie sur la pointe de la Coubre pour indiquer aux marins la direction à suivre, mais elle ne résiste pas dix ans aux assauts des éléments. Une autre est assemblée sur un emplacement plus approprié, mais il ne s’agit encore que d’un édifice en bois servant de repère le jour et rarement éclairé la nuit.

À partir de décembre 1830, ça devient un peu plus sérieux : un petit feu fixe est systématiquement allumé et entretenu toutes les nuits. Si le temps est dégagé, on peut l’apercevoir « à trois lieues marines ».

Tout cela n’empêche pas des catastrophes : en 1839, le paquebot à vapeur Ville de Bordeaux s’échoue dans les brouillards de la Coubre ; l’année suivante, la galéasse norvégienne Jongfrue-Karen s’y brise et répand son chargement de stockfisch sur la côte ; la goélette Les Deux Sœurs, chargée de vin et d’eau-de-vie à destination de Cherbourg, y sombre fin 1841 mais une grande partie de la cargaison est sauvée ; idem début 1842 pour le brick Valericain qui ne transporte — heureusement — que des barriques vides ; suit, quelques jours plus tard, la tragédie du paquebot Commerce de Bordeaux qui sombre en emportant dix-sept des vingt membres d’équipage. Les récits de drames en mer s’enchaînent, tout comme la construction de fanaux mis à terre en quelques années par les tempêtes et l’érosion.

En 1892, le chantier d’un premier phare vraiment solide débute enfin, à quelque 500 mètres du rivage. Le feu fixe du phare en bois disparaîtra au profit d’un « feu-éclair électrique » juché sur un édifice de 56 mètres de haut en maçonnerie, dont le soubassement sera en granit des Pyrénées. Les travaux attirent les curieux. On les accueille volontiers pour leur fournir des explications. Toutefois, sur la fin du chantier, ils deviennent si nombreux que l’ingénieur des ponts et chaussées de Royan annonce une suspension momentanée des visites. À la mi-novembre 1895, le premier phare construit en dur à la Coubre est officiellement mis en service.

Las, l’érosion fait son œuvre à une vitesse vertigineuse. Dès 1903, les vagues ne sont plus qu’à 80 mètres du phare ! L’hiver suivant, une maline particulièrement violente emporte d’un coup 30 mètres de sable. Le sort du jeune phare est entendu. Au printemps 1904, deux ingénieurs se rendent à la Coubre afin de déterminer le meilleur emplacement pour bâtir son remplaçant ; il se situera à 1 600 m à l’est du premier.

Dès l’automne, les travaux sont adjugés à un entrepreneur de La Tremblade dénommé Taillieu. Le chantier démarre aussitôt. De peur que la tour du XIXe siècle ne s’écroule, son équipement électrique est démonté avant même l’achèvement du nouveau phare. Provisoirement, la lumière de Cordouan remplace celle de la Coubre. Les maçonneries de la nouvelle tour sont achevées en août 1905 et son signal entre en service le 1er octobre de la même année.

Les tempêtes de l’hiver 1906-1907 mettent à nu les pilotis sur lesquels se dresse la première tour. Le 21 mai qui suit, l’édifice abandonné s’effondre pour de bon. Il ne sera resté en service qu’une dizaine d’années. Son successeur, lui, est toujours debout… mais désormais à seulement 150 mètres de la mer.

Texte extrait des "Chroniques de Charente-Inférieure" par Thierry Collard

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